Un pinceau à la main, dénaturant les traits de son visage illuminé par cette plaque de verre transformée, Jean-François nous éclaircit sur l’art de la « drag »; cette maîtrise parfaite du jeu des illusions.
Bien qu’au Québec, le 21e siècle annonce des changements de pensées amenant une ouverture sur tous les axes, certaines pratiques restent fortement accrochées à des stéréotypes. Parmi l’art de la mise en scène, les drag-queens, ces transformistes de la représentation, ressentent une acceptation collective leur permettant de s’ouvrir davantage à leur occupation. Néanmoins, malgré le cheminement qu’a subi cette industrie de la féminité, celle-ci reste fortement enracinée dans les clichés.
Une fois la noirceur installée et les projecteurs allumés, Jean-François, 21 ans, se faufile dans son personnage de scène Rita Baga. S’adonnant à cette pratique depuis ses jeunes dix-huit ans, c’est lors d’une soirée éméchée qu’il eut le coup de foudre pour cette profession. Malgré les émotions hautes en couleur que peut lui procurer l’excentricité de l’art de la drag, un grand nombre de difficultés associées au métier restent à surmonter. Avec la tolérance de la différence au Québec, une panoplie de caractérisations de genre sont apparues: homosexuel, transgenre, travesti, etc.
Bien que la drag se situe près de ces définitions, elle tient un sens particulièrement différent. En réalité, l’art de la drag est fondamentalement un métier comme un autre. Elle semble très souvent associée à l’identité transgenre, mais elle est loin de l’être en réalité. Les artistes qui pratiquent cette profession voient en la drag-queen une artiste de la scène, au même titre qu’un personnage d’une pièce de Shakespeare.
« C’est comme jouer la comédie […] La drag c’est du théâtre sauf que nous sommes nos propres personnages. » (Jean-François)
À l’inverse de la première idée qui surgit lorsqu’on croise cet acteur aux traits féminins rocambolesques, l’individu derrière le maquillage et la perruque construit un mur entre sa propre personne et son personnage. Au lendemain de ces soirées folles à incarner l’instant d’un moment, un personnage fantaisiste, Jean-François ne porte que la nudité de son être; « Dans la vie de tous les jours, je ne me maquille aucunement. Le maquillage, j’adore ça! C’est un art, mais c’est vraiment dédié au travail ».
Ayant cheminé à travers l’adversité de cette profession, Jean-François s’est démarqué en s’impliquant aujourd’hui dans le mouvement LGBT (mouvement assemblant lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), dans la série télévisée Il de jour, Elle de nuit et animant les dimanches « bagalicious » au cabaret Le Mado.
Mais si cette forme d’art semble être en constante évolution, beaucoup de clichés n’ont pas été brisés, limitant la lancée de son personnage de nuit. Ces artistes, utilisant prodigieusement maints types de maquillage, n’ont toujours pas leur place au sein de cette industrie. À ce jour, le maquillage reste un accessoire dédié aux femmes, et Jean-François espère fortement qu’un jour ces produits seront prédestinés avant tout aux individus, plutôt qu’à un seul genre.
« Pour moi la féminité ce n’est pas seulement le maquillage. J’associe beaucoup la féminité à certaines qualités… le maquillage, ça n’en fait pas partie, c’est la société qui a associé le maquillage aux femmes […] mon fantasme de vie ce serait de voir une drag-queen porte-parole pour cette gamme de produits. Pourquoi pas ? Elles sont probablement celles qui en utilisent le plus! »
Gagnant de l’influence dans ce milieu laborieux, Jean-François désire changer l’image des drag-queens bien trop souvent associée au divertissement. Pour lui, la place de ces illusionnistes finis ne se trouve pas uniquement sur la scène des bars à divertir la foule, mais bien sur l’ensemble du marché du travail québécois.
« On est encore restreint dans ce qu’est la drag en ce moment, l’industrie québécoise ne s’intéresse pas à cet art. J’aimerais que ça soit moins constamment relié aux bars et au lip sync […] une miss météo drag-queen ce serait du jamais vu ça! »
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