Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) présentaient les 27 et 28 novembre derniers un programme de quatre films aux histoires opposées, mais dialoguant par leur regard sociologique et esthétique semblable.
Traces, Both Instrument & Sound, Razeh-del et Loveboard sortent des sentiers battus par leur caractère ingénieux et énigmatique.
L’exploitation d’archives et du glitch art, un procédé artistique qui élabore des erreurs analogiques ou numériques sur l’image, sont au cœur des démarches artistiques des réalisatrices et réalisateurs. La proposition n’est pas qu’esthétique, mais est partie prenante des récits. Les quatres documentaires mettent également de l’avant avec fierté et sensibilité la pensée féministe ainsi que la communauté LGBTQ2S+.
« La chose la plus importante dans plusieurs films, c’est le pouvoir de s’imaginer au-delà de tout ce que nous avons intériorisé. Comment nous réapproprier les archives et naviguer entre ces différentes visions de nous-mêmes », révèle l’artiste derrière Traces.
Traces : Brouiller l’histoire
Réalisé par Chantal Partamian en 2023, Traces est un documentaire choc de 9 minutes. Il entrecroise les archives d’un film pornographique trouvé à Beyrouth avec des images de la guerre civile libanaise provenant de divers reportages des années 80. Les silhouettes d’hommes armés et masqués s’opposent brutalement à celles de deux femmes s’embrassant avec passion, un verre à la main.
Le film étant sans dialogue, les scènes distordantes sont portées par une bande sonore angoissante composée de notes itératives. La cinéaste explique que sa démarche artistique et narrative est fondée sur des « images organiques et le glitch art ». Les archives de la ville se désintègrent progressivement, laissant place aux visages des femmes.
« C’est comme s'il y avait un récit social auquel manquait une partie de l’histoire des personnes queer. Ça provoque une rupture dans le temps et l'espace, puis la ville s’effondre, car cette image incomplète ne peut exister », révèle Partamian.
Both, Instrument & Sound : La voix de la solidarité
Le moyen-métrage, produit en 2024, présente des discussions entre Tony Souza et la réalisatrice, Sharlene Bamboat.
On découvre le travailleur social à travers des images de manifestations et d’un album souvenir dépeignant les moments marquants de sa vie, comme son arrivée au Canada. « Tout a commencé avec cette idée de réflexion sur la solidarité et des tensions dans la musique. J'ai ensuite demandé à mon ami Tony [d’approfondir sur] sa propre perspective et d'en parler de manière anecdotique à travers tous les mouvements sociaux dans lesquels il a été impliqué », raconte la cinéaste.
Dans ce film, on ressent peu le souci du cadrage, mais plutôt le souhait d’expérimenter une conception visuelle et sonore toute en mouvement allant de pair avec la texture d’une pellicule 35 mm.
Razeh-del : Commémorer la résistance
À travers l’assemblage d’archives de films iraniens et de textes journalistiques, Maryam Tafakory reconstitue l’existence du premier journal fait pour et par les femmes en Iran. Les images se superposent et plusieurs ont un filtre imitant l’infrarouge. Un choix stylistique fort qui perturbe le regard.
Avec plus d’une centaine de publications entre juillet 1998 et avril 1999, le journal dénonce les inégalités vécues par les Iraniennes, comme leurs conditions de travail dans l’industrie du cinéma et les commentaires misogynes lancés au journal. On peut lire : « Trop de politique, n'est-ce pas censé être pour les femmes ? ».
Une narration poignante de 28 minutes qui témoigne de la violence faite aux femmes, mais surtout de leur résistance.
Loveboard : Désincarner l’amour
Premier film de Felipe Casanova, Loveboard retrace la fin de la relation amoureuse entre Hugo et Henrik. Filmés par une caméra super 8 spontanément , les personnages évoluent autant sur des plages barcelonaises que dans des paysages enneigés.
L’artiste reconstitue aussi le récit à travers des échanges écrits, audios et vidéos entretenus par les deux jeunes hommes, « une porte d’entrée dans leur intimité ». Le téléchargement et la conversion des fichiers ayant généré des artefacts dans les images, Casanova a su développer le phénomène au maximum. Le résultat plonge la salle dans un univers virtuel.
Le court-métrage ne s’intéresse pas tant à la rupture, mais plutôt à ce qu’il en reste. Des scènes de réparation d’un téléphone symbolisent la provenance des archives, mais aussi une possible restauration de la relation. « [Cela] ouvre un imaginaire, [représente] un geste de soin. D’un regard archéologique, j’aime l’idée d’une chose vraiment désincarnée, comme le plastique, à travers lequel on retrouve la chose la plus humaine de la vie, qui est l’amour. »
Mention photos: RIDM
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