« Le film rend hommage à ce genre de connexions étranges et sans sécurité que l'on peut créer. J’ai imaginé un personnage qui n'aurait peut-être jamais supposé que son corps soit un objet de désir pour quiconque et je lui demande de réfléchir à la façon dont il pourrait l'explorer ». Le réalisateur Devin Shears présente en première québécoise son dernier long-métrage, Cherub, en compétition nationale au Festival du nouveau cinéma.
Dès les premières secondes du film, le public pénètre dans l'intimité de Harvey (Benjamin Turnbull). Alors que la caméra flotte juste au-dessus de ses épaules jusqu’à son visage, elle le dévoile, les yeux fermés, écoutant le gazouillis des oiseaux.
À travers le temps vaporeux, on découvre un Torontois timide et solitaire en quête de connexions et d’une nouvelle confiance en lui. Son quotidien routinier se limite à travailler dans un laboratoire de chimie, fantasmer sur une collègue (Erin Mick) et visiter son père (Manfred Becker) à l'hôpital, en plus de promenades habituelles chez le fleuriste et au club vidéo pour adultes.
Feuilletant maladroitement des magazines playboy à la boutique, Harvey tombe sur une revue associée à la culture chub de la communauté gay qui s’adresse aux admirateurs des hommes costauds et poilus. Une question l’interpelle : Souhaitez-vous être le prochain numéro Cherub du mois ?
Le long-métrage à petit budget a été réalisé à l’occasion de la thèse de maîtrise en études cinématographiques de Shears à l'Université York, puis a été présenté en première au Festival international du film de Vancouver 2024.
Tirer astucieusement avantage du 4:3
Shears propose une esthétique nostalgique et douce magnifiée par l’utilisation du format d’image 4:3, reconnu pour créer des ambiances intimes.
Autrefois prédominant dans l’industrie du cinéma, le 4:3 donne aujourd’hui plutôt un effet de caméra à l’ancienne. C’est d’ailleurs le cas de Cherub qui a été filmé avec des objectifs soviétiques. Cela ajoute à l’effet de proximité vécu avec les personnages. Le cinéaste perpétue les gros plans qui remplissent le cadre, honorant les détails de l’architecture, l’unicité du visage et du corps humain.
Cherub est donc un 74 minutes d’élégantes prises de vues souvent composées géométriquement et dotées d’une palette de couleurs très nuancée. Les scènes, majoritairement tournées à la lumière naturelle, ont été soigneusement réalisées pour ajouter une touche de douceur.
La musique texturée d’Anastasia Westcott composée à base de harpe enjolive avec grâce plusieurs moments du film.
Enfin, l’appartement de Harvey, modeste et orangé, est un lieu auquel les concepteurs ont porté une attention particulière. Souhaitant à l’origine recréer un univers des années 2000, Devin Shears raconte à la suite du visionnement que « le logement semble en fait bien plus ancien, comme si Harvey vivait dans la maison décorée par ses parents ».
Dénuder en toute délicatesse
« Beaucoup de mes courts métrages précédents portaient sur l'aliénation queer [et] celui-ci parle de la peur de l’humiliation », explique le réalisateur. Shears continue en révélant que l’'inspiration initiale est le magazine érotique The Fat Angel Times qui « laisse briller certaines choses [de la culture chub] ».
Malgré ses qualités cinématographiques, Cherub n’est pas un film accessible à tous en raison de son absence de dialogue et de ses longueurs. Un aspect du projet que Benjamin Turnbull a trouvé, pour sa part, beaucoup moins intimidant.
Étoile du film, Turnbull souligne ses débuts à l’écran. « Je ne suis pas acteur, je [travaille] à l'hôtel Marriott de l’aéroport de Toronto et Devin est un ami. La plupart du temps quand je jouais, [intérieurement] je me disais : oh mon dieu, oh mon dieu », confie-t-il avec amusement.
Benjamin Turnbull, qui semble autant comique et attachant que son personnage, offre une performance naturelle en toute délicatesse et sensibilité, laquelle promet une carrière artistique qui ne fait que commencer.
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