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Photo du rédacteurJeanne Caron

La nécessité des Paroles et paroles

Cet article a été écrit dans le cadre d’un dossier spécial sur le Festival Filministes.


Les réalisatrices Marine Levéel, Manon Perreault et Audrey Nantel-Gagnon lors de la soirée Paroles et Paroles.


Dans le cadre du Festival Filministes, la soirée Paroles et paroles mettait à l’affiche sept courts-métrages locaux et internationaux explorant de près ou de loin la thématique de la discussion. Clin d’œil à la fameuse chanson de Dalida et d’Alain Delon, la sélection de films illustrait tout aussi bien les cruels freins qu’impose la retenue que l’importante libération qu’amène l’expression de soi.


Sur l’écran se sont enchaînés les films Tout roule, Radio Silence, Halves & Doubles, Réminiscences, Nous ne serons plus jamais seules, Catcave / Tjejtoan 4-ever et L’homme à la Mercedes pourpre. Ces œuvres émergeaient d’univers différents, mais avaient toutes comme force une photographie délicate qui plongeait le public dans l’abandon le plus total.


Faire face aux tabous

Vous êtes vous déjà retrouvés·es dans une situation où vos émotions pesaient lourd, mais n’arrivaient pas à faire surface ? Les films présentés dénonçaient cet abattement en mettant en lumière l’impact des tabous et de la retenue imposés par la société.


C’est le cas dans Radio Silence de Karen Lumer-Klabbers, où un non-dit engendre de la distance dans un jeune couple. L’évitement les cloître dans un univers parallèle, celui du jeu, où tout ce qui est échangé relève de l’ironie. La scène finale nous plaque au constat qu’il est impossible de rabattre les émotions, car elles émergent toujours d’une façon ou d’une autre. Finalement, ce ne sont pas les mots qui sépareront les protagonistes, mais tous les gestes désespérés traduisant leur désillusion.


Dans L’homme à la Mercedes pourpre de Marine Levéel, le personnage d’Annie est rongé par un traumatisme d’enfance, alors qu’elle touche tout juste sa retraite. Une cinquantaine d’années après les événements, elle fait face à sa blessure, accompagnée par sa fille. La musique, composée par Deborah Bombard-Golicki, transcode avec brio les tensions qui habitent le personnage. La retenue est interprétée comme aiguë, presque comme un acouphène. La confidence, elle, sonne grave, ample, en decrescendo.


Trois situations s’entremêlent dans Catcave Hysteria / Tjejtoan 4-ever d’Angelica Abramovitch. Les actions prennent place dans les toilettes d’un club, lieu de rencontres fortuites pour les femmes. Dans les histoires présentées, les personnages se livrent à des altercations enflammées. Au cœur d’une ambiance chaotique, les échanges formulés traitent de jalousie, de jugement et de désir. Pourtant, c’est la solidarité féminine qui transcende. Dans cette œuvre, la parole honnête déchire et rapproche à la fois, soulignant la complexité des relations humaines.


Sensibilités et dialogues

Qu’arrive-t-il une fois que l’expression des sentiments est consentie ? Qu’un espace est dédié aux dialogues ? La notion de safe space est un enjeu substantiel dans la cause féministe et les films à l’écran de Paroles et Paroles témoignent de l’importance de tels lieux.


Nous ne serons plus jamais seules de Manon Perreault met en scène un couple lesbien pour qui la parole sert d’affranchissement. Pour Jess, discuter avec Clothilde lui permet d’entamer la guérison de ses blessures d’enfance. Pour Clothilde, les discussions avec sa conjointe stimulent sa créativité. La communion de ces deux femmes leur vient comme un répit, une chance d’avancer et de s’épanouir.


Dans Halves & Doubles d’Adam Mbowe, presque toute la place est dédiée aux mots. L’image traitée en noir et blanc présente deux sœurs qui discutent, assises à la table de la cuisine. L’expression des émotions est le point central de leur échange. Elles creusent pour tenter de comprendre l’autre, d’une part avec difficulté, mais aussi avec beaucoup d’ouverture.


Les dialogues prennent une forme nouvelle dans le film Réminiscence de Virginie Brunelle. Trois duos dansent pour raconter des histoires de souvenirs, de nostalgie et d’affection. Leurs corps agissent comme vecteurs d’expression, alors que la caméra cadre leurs propos. Une expression faciale, des mains qui se touchent, de la boue sur le dos : voilà les clés de compréhension qui sont données au public, ému devant cette beauté brute. L’expérience vécue est complètement différente, mais tout aussi épanouissante.


Tout roule d’Audrey Nantel-Gagnon dépeint l’incroyable beauté dans la banalité. Ici, toute la sensibilité de la protagoniste est véhiculée dans les énoncés les plus simples. L’auditoire est touché par l’amour qui se dévoile dans une comptine chantée à sa fille; par le fort désir d’une famille unie dans une résolution de conflit avec son fils; par la peur d’être seule quand elle dit au revoir à son conjoint, qui entame une carrière de camionneur longue distance. Les propos sous-jacents sont subtils, mais deviennent clairs à l’écran. Lire entre les lignes est alors un outil indispensable pour comprendre la réalité des personnages.


Affiche du festival


Ce qui reste des oeuvres

Paroles et Paroles était une magnifique invitation à réfléchir à la place qu’occupe le dialogue dans les relations. Les courts-métrages à l’affiche témoignaient de l’importante interdépendance de l’expression de soi et de l’ouverture sur les autres. Les choix artistiques rendaient possible une réelle immersion dans ces univers sensibles et honnêtes. Une soirée comme celle proposée par les Filministes reste marquante, non seulement car elle soumet le public au visionnement d’œuvres artistiquement splendides, mais également car elle sème une graine de réflexion dans l’esprit de celles et ceux qui ont la chance d’y assister.


Crédit photo: Cannelle Wiechert

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