Dans un monde où les femmes détiennent les postes dominants, trois narratrices dissèquent un film policier récent. Un homme au costume plus que moulant les accompagne, toujours prêt à être utilisé comme accessoire scénique. Avec sa pièce Beau gars, Erin Shields offre un commentaire satirique sur l’état des rôles liés aux genres dans la société d’aujourd’hui.
Trois femmes interprétées par Marie Bernier, Oumy Dembele et Cynthia Wu-Maheux racontent en détail ce nouveau film dans lequel une détective épuisée écoute une série de télévision. Elles relatent ensuite l’histoire de la série télévisée qu’écoute la protagoniste du film. Puis elles s'attardent sur le spectacle de marionnettes que visionne la reine dans la série regardée par la détective du film. Inutile d’expliquer la confusion vécue par le public, qui n’a comme aide visuelle que les femmes qui discutent, et Gabriel Lemire presque nu, qui recrée les scènes qu’elles racontent.
Dans la version traduite par Olivier Sylvestre, la pièce se termine avec un monologue livré par le seul homme de la production. Après s’être rhabillé, il interprète le rôle d’une femme moderne, qui navigue au travers des angoisses du quotidien. La balance sociale semble être rétablie, l’avocate que joue l’acteur étant constamment rabaissée par les hommes de son entourage.
Au-delà de l’histoire
Beau gars est sans aucun doute une pièce énigmatique. La mise en abyme crée une distance entre les narratrices et le public. En revanche, l’interaction qu’elles ont avec celui-ci, exacerbée par la petitesse de la salle Jean-Claude-Germain, vient combler ce décalage.
Les comédiennes sont charmantes. Dans une pièce où les paroles prennent le dessus sur les gestes et où les dialogues filent à une vitesse fulgurante, la justesse de leur rythme est nécessaire. En ce sens, leur répartie est au point. Elles terminent les phrases des autres et se relancent entre elles sans hésitation.
Quant au visuel, il est très épuré, voire inexistant : il est d’autant plus facile de remarquer les erreurs de jeu. Sauf pour Oumy Dembele, les artistes se sont corrigé·es au moins une fois dans une de leurs répliques. Bien que ces erreurs soient passagères, elles brouillent la trame de l’histoire, qui est déjà difficile à suivre.
Outre ces légers accrochages, les dialogues sont fluides et l’humour ajoute une touche de légèreté. Bien dosés, ces moments rigolos viennent appuyer le discours des acteurs et actrices, en misant sur l’absurdité de certaines situations. À cela viennent s’ajouter des propos crus. Ni abusifs ni excessifs, les mots choisis sont justes et puissants.
Au fil du récit, le public ressent les émotions que les personnages décrivent. Impossible de rester indifférent lorsqu’elles s’emballent dans la description de tortures « historiquement véridiques ». Dans ce mode inversé, ce sont les hommes qui sont scrutés pour les moindres failles corporelles. Les moins désirables sont tout simplement mis de côté, broyés. « Toutes ces belles couilles, terrifiées, alignées comme ça, recroquevillées sous la peur, qui essayent de rentrer se cacher pour échapper au courroux de l’irréductible broyeuse », raconte avec passion l’une des narratrices.
Beau gars joue habilement avec la notion des rôles liés aux genres dans la société. Grâce à son inversion des sexes, la pièce laisse sous-entendre que le problème n’est pas unilatéral, que c’est autant aux créateurs de contenus qu’aux publics de changer leur mentalité.
Crédit photos : Valérie Remise
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