Crédits photo: Gia Khanh Nguyen Le
Quand Emné Nasereddine récite ses poèmes, sa voix claire, posée et pleine de chaleur envoûte le public. Ses textes intimes et empreints de tendresse la transportent dans les lieux de sa jeunesse, au Liban. Dans son premier recueil, La danse du figuier, publié en mai dernier chez la maison d’édition Mémoire d’encrier, elle donne la parole à sa mère et à sa grand-mère, mais aborde aussi des thèmes plus sombres tels que le deuil et l’exil.
Emné Nasereddine a passé son enfance entre le Liban et la France dans une famille déchirée entre un attachement à sa terre d’origine et un besoin de fuir un pays en crise. C’est en 2016 qu’elle immigre dans la métropole québécoise pour un doctorat en recherche-création à l’Université de Montréal.
La poésie est récente dans le parcours professionnel de l’artiste, elle qui s’y est initiée à 27 ans. L’autrice explique que la littérature est réservée à une élite au Liban : « L’écriture représente un grand luxe et beaucoup de temps au Liban. Le travail quotidien dans les champs est lourd, on ne pense pas à écrire. Ici, j’ai découvert un rapport à la poésie accessible à tous. »
C’est à la suite du décès de sa mère qu’Emné Nasereddine a commencé à se servir des mots de façon instinctive pour se réconcilier avec le deuil. Puis, s’est ajouté le désir de donner une voix à sa grand-mère, qui perdait la mémoire. La danse du figuier montre les femmes de sa vie qui, selon elle, ont le plus beau récit à raconter.
La poétesse révèle que son processus de création est très spontané : « Je n’ai jamais cette posture où je m’installe à l’ordinateur et j’écris. 90 % de mes poèmes ont été écrits dans le métro, dans le bus ou dans des cafés. » Elle ajoute que ses textes découlent souvent de ses lectures. Ses inspirations littéraires moyen-orientales, auxquelles elle fait divers clins d’œil dans ses poèmes, sont notamment Mahmoud Darwich et Nadia Tuéni. La femme de lettres innue Joséphine Bacon et l’éminent poète québécois Gaston Miron déteignent aussi sur son travail.
Fenêtre ouverte sur l’intimité
Avant La danse du figuier, Emné Nasereddine n’avait fait lire sa poésie à personne. « Je ne pensais pas publier, je trouve que mes écrits sont très intimes. […] C’était comme si je n’y croyais pas moi-même. Il y a eu quelque chose de plus grand que moi qui m’a dit d’envoyer mon manuscrit », raconte-t-elle en faisant référence à une forme de spiritualité qui teinte son recueil.
À sa grande surprise, l’autrice a reçu une réponse positive de la part de son éditeur à peine dix jours après l’envoi de son manuscrit. « Ce qui m’a rattrapé très vite, c’est le syndrome de l’imposteur. […] Et après, il y a eu ce sentiment de mise à nu parce que personne ne savait que j’écrivais dans mon entourage, ni ma famille, ni mes amis », confie-t-elle.
L’artiste souligne qu’elle écrit pour elle-même avant tout, puisqu’elle a découvert la poésie sans croire que ses œuvres seraient publiées un jour. « Même si, par moments, je m’adresse à ma mère et à ma grand-mère, c’est pour retourner à moi-même, pour mieux me comprendre. Après, s’il y a des gens qui se reconnaissent là-dedans, tant mieux », énonce-t-elle.
« J’aimerais qu’en fermant le livre les gens se disent : “Ah, j’aurais bien aimé rencontrer les femmes de la famille d’Emné, elles ont l’air cool, elles ont l’air fortes.” » – Emné Nasereddine
Le vent dans les voiles
Même si elle ne souhaite pas se projeter trop loin dans l’avenir, la poétesse admet travailler sur plusieurs projets d’écriture. « Je fais le chemin inverse et le [prochain] projet sur lequel je vais me concentrer sera un hommage à toutes les figures masculines de ma vie », partage-t-elle. Son père, son frère, ses oncles et ses amoureux seront mis de l’avant dans ce prochain recueil. Il sera guidé par les mêmes démarches d’amour et de reconnaissance que celles qui ont accompagné La danse du figuier. L’autrice s’imagine aussi écrire de la poésie moins pudique et plus sensuelle dans l’avenir.
Si sa démarche poétique est « engagée malgré elle », Emné Nasereddine explique qu’elle désire avant tout jouir de la poésie comme forme d’art à part entière. « J’aimerais ne plus avoir à écrire sur le Liban et sur le fait que je suis arabe, pouvoir me détacher de ça, aller plus vers l’art pour l’art. […] Je me dis que finalement, nous, poètes, on écrit tous la même chose. »
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