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Photo du rédacteurSami Rixhon

De l’art, vraiment?

La multinationale de divertissement numérique Ubisoft a organisé, au début de l’année, la deuxième édition de son concours Photomode, invitant les gamers et gameuses d’à travers le monde à soumettre leurs clichés provenant de jeux vidéo. Les photos ont été exposées dans les studios d’Ubisoft Montréal au mois de mai. Le processus artistique et la reconnaissance donnée aux gagnants et aux gagnantes s’avèrent presque insultants envers la beauté de l’art.


Gracieuseté d'Ubisoft, crédit photo : Irwan Baskara Putra. B

Le mode photo d’Ubisoft, développé il y a quelques années, permet à l’utilisateur ou l’utilisatrice de mettre sur pause un jeu, régler l’éclairage, le contraste, se déplacer à travers la carte et capturer l’instant. Ubisoft détaille d’ailleurs que, selon lui, la photographie « in-game » s’inscrit dans la continuité du huitième art (arts médiatiques), et que la photographie virtuelle deviendra, encore d’après l’éditeur, le principal moyen de capturer les nouvelles réalités dans un futur proche.

Le propos est effrayant.


Pas si loin d’un épisode de Black Mirror


Visuellement, les photos présentées dans l’exposition sont superbes, il serait malhonnête d’en affirmer le contraire, et il y en a pour tous les goûts : des photos de paysages, de la photographie animalière, des photos de courses automobiles, des clichés en noir et blanc, des portraits et des photographies de guerre simulées.


Les images sélectionnées proviennent de toutes les époques et de tous les environnements, la technologie et les jeux vidéo offrant une telle liberté (les jeux vidéo de cette époque, en tout cas, une production lancée il y a 20 ans n’aurait pas permis autant de détails, à la limite du réel). C’est tout ce qui se trame derrière qui dérange.


Faudrait-il d’abord mettre de l’avant les bonnes personnes : il est spécifié sous chaque photo le nom des gagnants et gagnantes qui ont pris la capture d’écran, et le jeu dont elle provient. Mais où est le nom des développeurs et des développeuses, où est le nom des personnes qui se sont chargées de la conception artistique du jeu vidéo? Où est le nom de ceux et celles qui, en fin de compte, se sont occupé·es de 99% du rendu que l’on peut apprécier durant l’exposition?


Le jeu vidéo est un art sans l’ombre d’un doute : la direction artistique, le scénario, la trame sonore, tous ces détails formant un tout si riche et à la fois si ludique doivent être reconnus à leur juste valeur. Mais peut-on dire la même chose des adeptes de jeux vidéo voulant prendre part à l’expérience?


Ces photos devraient être publiées sur les réseaux sociaux pour souligner la beauté de ces jeux, mais c’est tout, il faut établir des limites.


Gracieuseté d'Ubisoft

À noter qu’une partie des gagnants et des gagnantes était « interne », c’est-à-dire des employé·e·s de divers studios d’Ubisoft à travers le monde. Le débat est ici quelque peu différent, car le statut de consommateur ou de consommatrice, ou de créateur ou de créatrice vient complètement renverser la légitimité d’une personne lauréate, le fait qu’elle soit un ou une artiste.


Le début de la fin?


Un panel de quatre spécialistes s’est chargé de sélectionner les photos gagnantes, ainsi que le podium de cette édition du concours Photomode. Mais sur quelles bases, en fait? Certainement pas la technique, en tout cas. Le lauréat du premier prix, Filip Čop, a soumis la photo particulièrement nette d’un aigle en plein vol, vu par le dessus. L’exercice est périlleux, quasi impossible avec une vraie caméra, mais dans l’univers technologique, il suffit d’appuyer sur pause pour arriver à ce résultat. Absolument aucune comparaison valable ne peut être établie entre les deux situations.


Gracieuseté d'Ubisoft, crédit photo : Filip Čop

Les trois personnes lauréates des plus belles images du concours n’ont pas remporté des prix extravagants, le dégât est « moindre », entre guillemets, mais si la garde est baissée, les talentueux et talentueuses photographes du monde réel pourraient peu à peu se faire remplacer.

Ne laissons pas les joueurs et joueuses se proclamer des « artistes », comme ne laissons pas des personnes utilisant l’intelligence artificielle pour les aider à composer des morceaux se qualifier de musiciens et de musiciennes. L’art mérite mieux que ça.


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