L’amour que les parents portent à leurs enfants est indéniable. Ils les gâtent et les aiment comme nul autre. En échange des histoires lues le soir avant de dormir ou des cabanes de coussins construites en famille dans le salon, les parents peuvent espérer un retour du balancier, lorsque le temps commence à alourdir leur corps. Préférant demeurer dans leur chez-soi douillet plutôt que de vivre dans un CHSLD morose, les personnes âgées se fient sur leurs enfants pour jeter un regard bienveillant sur eux. Bien souvent, c’est plus qu’un regard bienveillant que les membres de la famille doivent poser sur l’individu en perte d’autonomie. Ce sont des soins à administrer, du support à donner et un moral à conserver.
Les « Allez, on va construire un igloo ! » ou les « C’est moi qui choisis le film ! » chaleureux et enjoués se transforment en « Allez, c’est l’heure de prendre ton médicament. » ou en « Viens ici, on va te laver. » répétitifs et lassants. Les rôles s’inversent. C’est dorénavant aux enfants d’agir en tant que proches aidants et de s’assurer du bien-être de leur parents vieillissants.
Malgré la bonté et l’amabilité de ces personnes, le rôle d’un proche aidant peut amenuiser la relation avec un membre de sa famille en perte d’autonomie. De façon inconsciente, les gestes ou les paroles du proche aidant peuvent irriter la personne à charge, créant des frictions plus ou moins palpables au sein de la relation familiale.
La source première des accrochages est, selon le médecin en gériatrie de la Faculté de Médecine de Paris, Guillaume Besse, un mal-être de la personne vieillissante. Malheureux de son état physique qui se détériore, l’individu en perte d’autonomie est frustré de voir s’effriter de simples habiletés. La personne âgée en perte d’autonomie a une image d’elle-même peu reluisante, une image de décrépitude contre laquelle elle ne peut rien faire d’autre que d’exprimer sa peine. Généralement isolée et prisonnière de sa situation, la personne vieillissante et en perte d’autonomie peut se mettre à crier haut et fort son mécontentement par le moyen d’insultes, d’hurlements ou de comportements agressifs à l’égard de son proche aidant.
La prise en charge de A à Z par son enfant peut exacerber l’impression d’incapacité et d’infantilisation que peut ressentir le parent en perte d’autonomie. Ne plus prendre de décisions de façon indépendante, ne plus se déplacer seul ou ne plus se laver de manière autonome créent un manque qui laisse en bouche le goût amer d’un déplaisant retour à l’enfance.
Devant la fatalité de devoir faire le deuil de leur vie d’avant, les parents vieillissants en perte d’autonomie peuvent avoir du mal à contenir leur déception et leur frustration, qu’il jettent aveuglément sur leurs enfants aidants naturels qui essaient, tant bien que mal, de prendre soin d’eux. La personne à charge peut repousser et refuser les contacts de son enfant qui ne veut que s’assurer de son bien-être. Les « Je veux lécher le fond du bol plein de chocolat ! » énergiques deviennent des « Laisse-moi t’aider ! » frustrés et épuisants.
Malgré les qualités énergivores et décourageantes d’une pareille relation familiale, la personne à charge et le proche aidant ne s’abandonnent pas, parce plus le temps passe, plus les besoins de la personne en perte d’autonomie s’alourdissent. Ainsi, elle n’a d’autres choix que d’accepter le dépérissement de sa santé. Elle ne peut faire autrement que d’ouvrir les bras à son enfant et de lui permettre de veiller sur elle. Elle accepte de se faire bercer par celui qu’elle a si souvent cajoler et d’à son tour, se laisser parler d’amour.
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